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mercredi 11 juillet 2018

un dé, mais un dé structible !

Je suis allé voir il y a quelques jours le dernier Disney de l'été : les Indestructibles 2. La première chose qui m'a frappé, c'est avant le début du film, pendant les bandes-annonce : on annonçait pas moins de deux films d'animation digitale pour la rentrée, mettant en scène des oiseaux chinois. Il semble que la Chine, les oiseaux, et les personnages principaux perclus de maladresse, soient toujours autant à la mode. Pour la Chine, çà se comprend : un marché d'un milliard et demi de consommateurs ne peut définitivement pas laisser Hollywood indifférent... Mais je me suis demandé, en voyant les bandes-annonce, comment les blagues occidentales stupides et l'humour occidentalocentré allaient passer auprès du public chinois... Quant aux oiseaux, non, je n'ai pas eu plus que cela envie d'en dire des noms (d'oiseaux huhuhu !)

Bref, après Les indestructibles, Volt, star malgré lui, et Les Nouveaux Héros, les studios Disney récidivent dans un autre domaine très à la mode : les super-héros. Et je dois dire que, dans ce domaine-là, j'ai largement préféré le travail des studios Disney, que celui de leur concurrent Dreamworks, avec leur Megamid, bourré de blagues plus drôles, plus dynamiques, et qui devait davantage faire plaisir au jeune avec son anti-héros bad-boy, mais dont la morale sur-éculé sur le fait qu'on peut choisir son destin ne m'a jamais paru très intéressante.

Avec Les Indestructibles, nous avions une critique sur les super-héros, leurs motivations, et sur l'impact que la vocation super-héroïque pouvait avoir sur la vie privée, qui était, ce me semble, beaucoup plus intéressante dans une parodie qui restait bon enfant.

Dans ce deuxième opus, la ligne directrice est la même, mais le propos se renouvelle suffisamment pour que cela reste très réjouissant : entre les scènes d'action qui, rassurez-vous, ne manquent pas (sauvetage d'un train du futur à sustentation sur rails magnétiques, duel d'hélicoptères, bateau explosif qui menace de percuter une ville, etc...), on trouve des réflexions très bienvenues sur le rôle des super-héros dans la vie des gens ordinaires.

Il n'y a qu'une chose que j'ai regretté : pour quelqu'un qui a lu et vu tant d'histoires et de films que moi, l'identité du méchant (chut ! chut ! Pas de spoiler !) est devenu très clair assez rapidement dans le film, d'abord par le fait qu'il se révèle en attaquant au moment même où ElastiGirl reprend du service, mais, en plus, durant la scène de son arrestation (...huh... non, je n'en dirai pas plus !), où l'on comprend directement de quoi il retourne.

Mais ce que j'ai cependant le plus apprécié, avec ce film, c'est la critique qui est faite de notre société des médias de masse et de la communication à tout va, où tout n'est plus qu'une question d'image, ou plutôt, comme dit l'un des personnages importants : "une question de perception" (sic).

Le fantasme complotiste des "data brokers", ou comment la société recycle ses peurs.

On a eu peur des loups. Parce que les loups, s'ils ne s'attaquent pas aux hommes adultes, ne dédaignent pas de croquer du marmot quand le mouton se fait rare, et qu'on le rentre dans la métairie en hiver. Et puis, on a eu peur du prêtre, parce que le prêtre légitimait un pouvoir qui venait de Dieu. Et on a eu peur des banquiers, parce que les banquiers contrôlent l'argent, qui contrôle l'économie, donc le monde. On a eu peur, aussi, des journalistes. En particulier, des paparazzi, ces photographes people qui stalkaient les personnes en vue et les célébrités du moment, en particulier avec l'affaire Lady Diana, parce qu'on avait décrété que des photographes étaient davantage responsables d'un accident de la route qu'un chauffeur paniqué. Désormais, on a peur des "data brokers".



" Qui a peur du grand méchant loup ? "


C'est, bien sûr, l'affaire de Cambridge Analytica qui n'en finit pas de nourrir les gorges chaudes de la presse et des médias, toujours à la recherche du dernier scandale-à-faire-peur-les-honnêtes-citoyens afin d'augmenter ses audiences ou de vendre davantage de journaux. Il y a quelques jours, je suis tombé, en sortant du métro de Lille, sur un exemplaire du "20 minutes", le journal de la médiocrité gratuite, qui proclamait dans un titre racoleur qui ressemblait à un jeu de manches de prétoire ridicule, que " Les "data brokers" se font des bits en or ". C'était le n°3305 du jeudi 21 juin 2018, et, oui, il m'a fallu bien deux semaines pour me motiver à écrire sur ce sujet, parce qu'une fois n'étant pas coutume, il s'agit d'un sujet purement journalistique de tabloïd grotesque. D'ailleurs, je ne me doutais pas que, après avoir conclu mon article précédent sur le sujet Zuckerberg, par les mots " Salut à tous, et à la prochaine ", je reprendrais le clavier pour reparler de ce sujet aussi rapidement ! J'y avais donné mon avis, à propos de l'attitude de Zuckerberg. avec une certaine agressivité, qui plus est. Mais, une fois l'avis posé, j'estimais que des affaires plus importantes devaient nous occuper. Les journalistes pensent qu'il n'en est rien, et, ne trouvant pas de sujets plus essentiels, comme, au hasard, la faim dans le monde ou le bombardement illégal de sites Syriens par une coalition d'Etats qui se prétendent "de droit", nous en remettent des couches et des couches avec une phobie des données personnelles et des réseaux sociaux qu'ils construisent patiemment pour la vendre à leur lecteur avant qu'on ne leur diagnostique un besoin urgent de repos dans un centre déconnecté du monde.

...Ne cherchez aucune intelligence dans cette article, la créativité du rédacteur s'étant barré immédiatement après avoir accouché de ce magnifique jeu de mots qui sert de titre à un article qui, pour le reste, repose sur du vide, du vent, Much Ado About Nothing, comme aurait dit le grand dramaturge britannique.

Il faut en effet bien faire la part entre deux choses :
  • l'éthique de l'information, dont la réflexion doit être continue, et ne doit, en effet, pas concerner uniquement les "gens du métier" mais également tous les usagers, ainsi que tout avis extérieur pouvant éclairer cette réflexion permanente,
  • et l'affaire que les médias cherchent à monter en épingle, en effrayant le "bon père de famille" (et la "bonne mère de famille" par la même occasion) quant à ses propres données personnelles (voire quant à celles que disperseraient et ventileraient ses adolescent(e)s pré-pubères à tous les vents du web dit "2.0" dont tous les "experts" sur le marché de la jeunesse cherchent à nous faire croire que leur mode de pensée nous serait incompréhensible).

Quelle est donc cette affaire ? c'est celle de la récupération de nos données personnelles à des fins commerciales - ou, en l'occurrence, politiques -, par des gens dont ce serait le métier à plein temps, des gens très peu scrupuleux, donc, dont le job serait de nous analyser et de faire du profiling - non pas de tueurs en série, mais de consommateurs -, d'après les contenus que nous posterions çà et là sur les réseaux sociaux et autres délices de l'Internet du troisième millénaire.


Complotisme ?


L'article de journal commence par ces mots : "Ils agissent dans l'ombre, leur pratique est très lucrative, et leur identité inconnue du public." : voilà les ingrédients essentiels d'un bon gros complot bien terrifiant, n'est-ce pas ? Parlerait-on ici des tristement célèbres illuminatis, d'une loge maçonnique incognito, ou encore de cette sacrée société espagnole sectair... huh, religieuse renommée sous le vocable d'Opus Dei ? Que nenni, mes bons sires : il s'agit d'informaticiens faisant leur job, à savoir, non pas maintenir nos appareils de travail ou de loisir en état de marche, mais bien plutôt, sournoisement, fourbement, perfidement (ou tout autre synonyme de la subrepticité que vous trouveriez effrayant pou vos lecteurs), siphonner des données sur le web !
Il y a tout pour en faire un article bien vendeur : les "citations" d'experts - bien évidemment sortis de leur contexte, et résumés à deux ou trois "punchlines" -, et la petite exergue qui fait peur : "Cette industrie marche tant qu'on ne la perçoit pas"...
La journaliste (quel que soit le rapport entre l'article devant journaliste et le contenu dudit article, il ne me concerne pas, je le signale pour couper court aux attaques anti-féministes stériles) Laure Beaudonnet s'inspire apparemment du style Ségolène Royal : les écrans, les données personnelles, la modernité, l'ouverture au monde, tout çà va vous sembler soudainement plus dangereux après avoir lu l'article en question.

Mais l'article est en sus, rédigé de telle manière qu'on ait l'impression que la menace viendrait d'être découverte !

Mais l'article est en sus, rédigé de telle
manière qu'on ait l'impression que
la menace viendrait d'être découverte !


Alors, pour rafraîchir la mémoire des compères, au cas improbable où un internaute s'égarerait sur l'océan du web et viendrait s'échouer sur ce blog, j'aimerais rappeler que :
  • Le concept de "Big Data" a été formalisé dès les années 2000 (à ce propos, lire le bouquin qui y est consacré par Pierre Delort dans la Collection Que sais-je ?, des presses universitaires de France, paru en 2015)

  • Depuis lors, les milieux des affaires n'ont jamais cessé de se demander comment mettre à profit cette manne de données.

  • Les big data sont bien constitués par les contenus que les internautes (les usagers) mettent eux-mêmes en ligne, que ce soit sur les réseaux sociaux (Facebook, LinkedIn, Twitter, Instagram) etc.) et les plateformes vidéos (YouTube, etc.) faisant partie des médias sociaux. Leur volume est tellement énorme qu'onparle désormais de mégadonnées.





Avec ce tour d'horizon bref mais détaillé des articles à propos des données de masse dans les revues économiques les plus répandues, je crois inutile de conclure que les clampins de chez 20 minutes qui semble redécouvrir l'eau chaude n'ont guère fait leur travail de veille de l'actualité chez leurs confrères. Déjà en 2008, les données et contenus des réseaux sociaux posaient de sérieux propblèmes de propriété intellectuelle, selon l'éditorial de Xavier Wauthy, chercheur au CEREC (FuSL) et au CORE (UcL), dans le numéro 59 de mai 2008 de Regards Economiques, la revue d'Economie de l'Université Catholique de Louvain en Belgique (No free lucnh sur le web 2.0 : Ce que cache la gratuité apparente des réseaux sociaux numériques). 

Alors, il n'est pas question de nier ici les dangers liés aux Big Data, ces dangers sont réels ! Mais bon sang, faire semblant de découvrir tout-à-coup quelque chose en le présentant comme une tendance toute nouvelle, alors que cela fait 15 ans que les entreprises cherchent comment exploiter la mine des Data (à insérer ici : quelques rires préenregistrés pour le jeu de mots idiot sur le data mining !), je pense qu'il y a de quoi s'inquiéter, si, effectivement, les journalistes eux-mêmes ne sont pas fichus de se tenir au courant, et qu'ils tentent de nous resservir avec un titre racoleur et présenté comme une "découverte soudaine", quelque chose dont tout le monde savait pertinemment que çà couvait depuis deux décennies, et cela, dans le but évident de pouvoir attirer quelques lecteurs de plus, avec une une (à insérer ici : une blagounette idiote sur la redondance de la une !) délibérément publicitaire et un article médiocre qui ne cassera pas la troisième patte du canard (à insérer ici : d'autres rires préenregistrés pour la blague stupide sur le canard, huh, je veux dire, le journal !).


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