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mardi 27 mars 2018

Comment Umberto Eco est devenu un "rescapé de l'enfer ferroviaire américain"

Bonjour à chacun !


A l'heure des manifestations et des grèves pour protéger notre service public, et en particulier la SNCF, de la privatisation, j'avais envie d'arrêter de pleurer sur ce que nous réservent les élites politiques du pays, et, pour changer un peu, de rigoler avec vous, à la lecture de ce qu'Umberto Eco écrivait à propos du système ferroviaire américain.


Pour rappel, Umberto Eco, c'est cet intellectuel accompli qui a écrit "Le Nom de la Rose" et "Le Pendule de Foucault", mais également un universitaire renommé, sémiologue, linguiste et médiéviste, professeur émérite de l'Université de Bologne (en Italie), après avoir enseigné de nombreuses années aux U.S.A., notamment à Columbia et à Yale.
Ecrivain de génie, donc, mais aussi érudit invétéré et grand voyageur, Eco a eu l'occasion de découvrir le chemin de fer "à l'américaine"... Pour son malheur :

« (...) Comme je devais me rendre dans trois localités de la Côte Est, je me suis déplacé en train.
Les chemins de fer américains sont le reflet de ce que pourrait être la Terre après une guerre atomique. Oh, bien sûr les trains partent ! Le problème, c'est qu'ils arrivent avec six à sept heures de retard, quand ils ne tombent pas en panne en rase campagne ; quant aux gares, elles sont immenses, glaciales, vides, sans un bistrot, hantées par des types aux mines patibulaires, sillonnées de souterrains rappelant le métro New-Yorkais du Retour sur la planète des singes. La ligne New-York-Washington, qu'empruntent journalistes et sénateurs, offre - en première - le confort d'une business class et on y sert un repas chaud du niveau d'un restau U. Mais sur les autres dessertes, les wagons sont dégoûtants, les banquettes en skaï éventrées, et le bar propose une nourriture à vous faire regretter (et j'exagère à peine) la sciure recyclée de nos trains régionaux.
On nous abreuve de films en Technicolor nous montrant des crimes abominables commis dans de luxueux wagons-lits où des femmes blanches sublimes sont alimentées en champagne par des serveurs noirs tout droit sortis d'Autant en emporte le Vent. Faux, archifaux. En réalité, les passagers noirs des trains américains sortent tout droit de La Nuit des morts-vivants et les contrôleurs blancs arpentent dégoûtés les couloirs en trébuchant sur des boîtes de Coca, des bagages abandonnés, des journaux enduits d'une mayonnaise ayant giclé des sandwichs emballés dans du plastique bouillant, irradié par des micro-ondes très dangereuses pour le patrimoine génétique.
En Amérique, le train n'est pas un choix. C'est une punition pour avoir ignoré l'étude de Max Weber sur l'éthique protestante et l'esprit du capitalisme, et commis l'erreur de rester pauvre. »

Eco, Umberto. 1992. "Comment voyager dans les trains américains".
In : Comment voyager avec un saumon, trad. Myriem Bouzaher (1997)
Grasset/ Librairie Générale Française, coll. Le Livre de poche, pp.62-63


Un peu plus loin dans le même texte, Umberto Eco se qualifie lui-même de "rescapé de l'enfer ferroviaire", d'où le titre du présent billet...

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