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jeudi 18 avril 2019

L'horreur, c'est quand on se trompe de peur...

Ce mois-ci, je suis allé voir deux films au cinéma : Simetierre, et… Raoul Taburin. Je me doute que c'est du premier que d'aucuns préfèreraient que je parle.

Ayant lu le livre, vous n'échapperez pas à une comparaison entre les deux, et dire mesquinement que le film étant une adaptation cinématographique, c'est une œuvre à part entière, ne vous sauvera pas. J'emmerde (désolé de la grossièreté !) les défenseurs d'une indépendance d'une adaptation par rapport à l'œuvre qui l'a inspirée, et je ne réécrirai pas une 36e fois pourquoi, les raisons en ont été largement développées quand je débattais du cas du Hobbit, sur diverses plateformes.

Pour résumer, quand on proclame présenter à un public une adaptation d'une œuvre préexistante, soit, mais on assume le respect qu'on doit à cette œuvre, même si bien évidemment les contraintes techniques et le format du média, et l'interprétation d'un réalisateur artiste (s'il est réellement artiste, et pas dans une logique productiviste industriel comme ce fut le cas de Jackson sur le Hobbit - bien qu'on doive aussi reconnaître l'ingérence des producteurs, évidemment) vont nécessairement apporter leur lot de différenciation ; une adaptation SE DOIT de respecter le matériau original, sinon, inutile de prétendre que c'est une "adaptation", ce ne sera qu'une vulgaire récupération mercantile d'un titre à succès.

Il existe, par ailleurs, nombre d'œuvres qui reconnaissent sincèrement s'inspirer d'une œuvre sans en être une adaptation fidèle. Et, évidemment, c'est un choix tout à fait honorable s'il se montre honnêtement à jour.

Le problème avec Simetierre, c'est que cette œuvre se range exactement dans la catégorie des œuvres que j'ai cité précédemment : celles des récupérations mercantiles.

On se souviendra que Stephen King, après avoir été un écrivain dont le succès a démarré en librairies, a rapidement intéressé le cinéma et la télévision avec diverse adaptations de ses œuvres dans les années '80 et au début des années '90 ; puis il était devenu un nom célèbre, un peu oublié et remisé dans un coin de la culture cinématographique, bien que l'on citât souvent Kubrick et que l'on murmura un certain film comme emblématique dans l'histoire du cinéma de la peur, mais qui faisait vendre des livres, au demeurant de bonne qualité en comparaison de la concurrence dans son domaine d'écriture - celle de l'angoisse -.
Il interroge intelligemment, en effet, ce qui fait peur dans nos cultures humaines contemporaines, indépendamment de son style que l'on peut aimer ou non, et qui est d'ailleurs variable d'une œuvre à une autre.
Et soudain, le succès de Dôme sur CBS, puis sur Netflix aux débuts des années 2010 relança l'intérêt de l'industrie audiovisuelle pour cet auteur, et l'on vit sortir, d'abord, la première partie de IT, nouvelle version, sur grand écran, avant d'y (re)découvrir Simetierre, de Kevin Kölsch et Dennis Widmyer… Lui aussi étant une nouvelle version (nous avions eu droit en 1989 à une tentative de Mary Lambert, dont je ne peux dire grand'chose, n'ayant que 7 ans à cette époque et ayant eu une éducation assez protectrice quant à ce genre de films.)

Kevin Kölsch et Dennis Widmyer, donc, nous livre un grand moment de spectacle, un film de zombies parfaitement réussi.

Pourquoi, alors, criai-je à la récupération mercantile ? Parce que ce film aurait pu s'intituler autrement, et passer pour un excellent film de Romero, mais voilà : il a fallu que les producteurs veuillent profiter de la "nouvelle vague" S. King pour produire un film qui surferait sur sa crète.

Je ne mets pas en doute la sincérité des réal's. Elle se voit à travers ce film, qui, bien qu'utilisant les ficelles classiques des films d'angoisse de manière un peu mécanique, montre tout leur amour pour le genre.

Mais puisqu'on parle d'amour, venons-en au fait :
ce n'est pas une scène en particulier, ou une absence d'un passage du bouquin, qui me fait condamner ce film.
En lui-même, il est très bon, il fonctionne, on a peur, les événements s'enchaînent, et, - même si le public connaisseur et averti s'attendra de la suite -, ils nous mènent au frisson avec efficacité.

La photographie est très bonne, les passages entre un monde violemment éclairé, le milieu aseptisé du centre de soins médicaux universitaires où travaille le mari (qu'on a un peu de mal à reconnaître pour tel, d'ailleurs, si l'on a pas lu le bouquin !), et les nuits brumeuses, énigmatiques et menaçantes régnant sur les bois entourant le cimetière, tout cela est parfaitement rendu et nous plonge dans l'ambiance.

Le problème, c'est que, justement, c'est un film de zombie.

C'est un film de style Romero ; je l'ai dit.

Lisez le bouquin de Stephen King, jusqu'à la fin. Vous comprendrez que l'histoire de King, ce n'est pas une histoire de personnes qui reviennent de la mort nous hanter. Ce n'est pas une histoire de cimetière. C'est une histoire des passions humaines : une histoire où l'on se demande jusqu'où l'humanité est prête à aller par (ou pour) amour.
Et jusque là, vous pourriez me dire que le film raconte effectivement cela.

Oui.

Du moins au début.

Mais.

La conclusion de l'œuvre, et la peur qui reste une fois qu'on a refermé les pages, elle, porte sur autre chose.
Bien sûr, il est terrifiant que l'amour, traditionnellement décrite par les contes littéraires comme source du salut de l'âme humaine, devienne ici vecteur d'une horreur, incompréhensible pour l'amoureux qui la déclenche.

Mais le goût de cuivre que l'on ressent à la fin du roman, il vient du fait que l'homme n'apprend pas de ses erreurs. Ce que Stephen King nous dit par ce bouquin, c'est que les passions humaines nous feront toujours oublier nos tristes expériences passées :
L'horreur de Simetierre, c'est que l'humanité, jamais, ne parvient à tirer de leçons de ses erreurs, qu'elle les recommencera toujours, et la menace qui pèse sur l'humanité,c e ne sont pas les zombies qui se multiplient comme une épidémie. C'est elle-même.

Ce roman de Stephen King, c'est un chef d'œuvre magistral, parce que ce qu'il raconte, mieux qu'aucune autre œuvre sur le même thème, c'est que l'humanité EST sa propre menace, et même sa seule menace :
l'angoisse naît de ce qu'il est impossible de la combattre, de l'arrêter, parce que par nature, on ne pourra pas la déraciner en nous.

La menace qui nous mènera à notre perte, c'est que nous n'apprendront jamais de nos erreurs.

Voilà la peur que Stephen King raconte dans son roman, et à côté de laquelle le film passe complètement.

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